La motte féodale ou motte castrale
La motte castrale est typiquement un ouvrage de défense
médiéval
ancien, composé d'un rehaussement important de terre rapportée de forme
circulaire, la « motte ». Il existe plusieurs formes d'édification de
ces ouvrages, souvent appelés à tort « motte féodale », il en existe
dans toutes les régions d'Europe.
La plupart du temps le tertre était
entouré d'un fossé, le sommet était occupé par une forte palissade. Un fortin de
bois y était aménagé avec une tour de guet analogue à un donjon. La motte
est considérée comme un château fort primitif.
En Europe occidentale, au Xe siècle, l'armée carolingienne
devient trop lourde pour répondre aux rapides raids vikings et sarrasins. La défense s'organise donc localement
autour des mottes, rapides à construire, et qui utilisent des matériaux peu
coûteux et disponibles partout. Progressivement se distingue ainsi une élite
guerrière dont la motte castrale matérialise l'autorité. Le seigneur assure la
protection d'un axe commercial ou économique (souvent un village) et la motte
devient l'élément fort de l'organisation spatiale de l'an mil. Elle peut
servir également de résidence seigneuriale et favorise la vie économique. L'émergence du
pouvoir banal sur l'ensemble du territoire au début du XIe siècle est un élément
supplémentaire favorisant la généralisation des mottes qui se développent
surtout à partir du XIIe siècle
Les archéologues classent
habituellement les mottes en trois catégories:
·
les mottes bâties sur un accident naturel à l'abri, par exemple un rebord
de plateau, une colline… ; elles sont plutôt courantes dans les régions
montagneuses (Auvergne,
Languedoc) ;
·
les mottes totalement artificielles, en terrain plat et sans appui
extérieur du relief (Husterknupp) ;
·
les mottes — exemples plus rares — qui forment une variante des deux
précédentes, « une levée de terre annulaire », renforcée par une
palissade
La motte castrale serait donc apparue aux alentours de l'an
mil entre la Loire et le Rhin, le phénomène
s'étant répandu dans tout l'Occident chrétien au cours des XIe,
XIIe et XIIIe siècles selon les régions. En Angleterre
(Guillaume le Conquérant à partir de 1066) tout comme en Sicile (Robert
Guiscard à partir de 1061), ce sont les Normands qui introduisirent le château à
motte, inconnu dans ces régions avant la seconde moitié du XIe siècle.
Le principal atout des mottes castrales est la simplicité et
la rapidité de construction, avec des matériaux peu coûteux et disponibles
partout. Faciles à construire, elles peuvent l'être par des paysans corvéables,
ce qui correspond aux possibilités économiques de la châtellenie naissante.
Elles sont des fortifications amplement suffisantes pour répondre aux enjeux
militaires des IXe et Xe siècles : contrer les raids de
pillage menés par des troupes peu nombreuses et très mobiles.
Ces tertres défensifs n'apparaissent pas n'importe quand. Ils
découlent de la logique d'une société médiévale qui évolue : à partir de 980, le royaume des
Francs est secoué par la « révolution aristocratique » qui remplit
les campagnes de châteaux. Ces derniers sont soit d'emblée privés, soit
publics. Mais surtout, autour d'eux, prolifèrent de nouvelles « coutumes ».
L’empire carolingien se désagrège dès le milieu du
IXe siècle. Avec l'arrêt de l'expansion
territoriale, les empereurs n'ont plus de nouvelles terres ou charges pour
rétribuer leurs vassaux et n'ont donc plus prise sur eux. Peu à peu, ils
doivent leur concéder la transmission héréditaire de terres et de charges, puis
une autonomie de plus en plus grande. D'autant que Charlemagne est conscient
qu'envoyer tous les hommes libres à la guerre au printemps chaque année est
préjudiciable économiquement, car il a besoin de leur présence pour que les
travaux agricoles soient conduits de la manière la plus efficace possible (il a
au minimum besoin d'eux pour coordonner leurs esclaves). Il introduit par capitulaire la
possibilité de ne pas participer à la campagne militaire en contrepartie de
l'aide à l'équipement et à la gestion des terres des hommes partis à la guerre.
Il se crée progressivement deux groupes sociaux au sein des laïcs, ceux qui
combattent (milites) et ceux qui travaillent la terre (laboratores).
Nombreux sont les hommes libres qui choisissent de poser les armes pour le
travail de la terre, plus rentable. Quand vient le temps des invasions et des
guerres privées qui marque la fin du IXe siècle,
l'ost carolingien est trop lourd pour répondre aux raids éclairs des Vikings ou
des Sarrasins ; la défense s'organise localement autour de châteaux tenus
par des groupes de milites. Les laboratores doivent confier leur
sécurité au châtelain contre le ravitaillement de ses troupes ou de sa maison.
Certains arrivent à conserver leur indépendance, mais la plupart cèdent leur
terre à leur protecteur et deviennent exploitants d'une tenure (ou manse) pour le
compte de ce dernier.
Fonctions résidentielle et
militaire
La première fonction de la motte castrale clairement
identifiable est celle du logement. À partir du milieu du Xe siècle,
on assiste au passage de la civilisation du palais à celle du château. Au haut
Moyen Âge, le palais est une simple résidence, peu ou pas fortifiée, souvent
rurale, que les textes appellent « villa ». Les souverains
mérovingiens et carolingiens possédaient des villae royales surtout dans le noyau
carolingien (Laon-Soissons-Compiègne).
Autour de l'an mille, Robert le Pieux fait édifier des mottes aux
périphéries de son domaine (Montlhéry),
mais le roi n'y loge pas.
Le témoignage du chroniqueur Lambert
d'Ardres prouve qu'une construction en bois n’exclut pas un certain confort
d’aménagement : plusieurs chambres, logis, celliers, magasins à provisions
et chapelle, le tout sur trois niveaux. Pour André Debord, « la motte
n’était pas l’habitat caractéristique de la petite chevalerie de village (…) de
trop médiocre fortune pour pouvoir fonder une seigneurie châtelaine ». Le
chevalier (miles) résidait selon lui « plutôt dans une grosse ferme
pourvue de quelques éléments de défense »
La motte castrale, également siège du pouvoir, peut jouer un
rôle militaire. Son succès est dû en particulier à son élévation rapide, grâce
à des matériaux abondants et peu coûteux, et à sa défense qui nécessite peu
d’hommes. C’est un édifice que les seigneurs se transmettent sur plusieurs
générations en l'aménageant autant que nécessaire. Sur le bord de la Canche,
on peut remarquer l’importance de la petite chevalerie
telle que la famille de Rollepot. Mathieu de Rollepot est qualifié de sire (dominus)
dans les années 1240
et son pouvoir est établi, tout comme celui de son voisin, seigneur à Ligny,
sur une motte castrale qui, du haut de son talus, domine la vallée de la Canche
et le chemin qui menait à l'abbaye de Cercamp.
Le pouvoir s’organise également sur une aire d’attraction (districtus)
qui varie selon les châteaux. Plus le seigneur de la forteresse est puissant,
plus le districtus est large. Dans le cas classique, l’autorité de la
motte s’exerce uniquement dans les limites de la seigneurie, soit un kilomètre
environ à la ronde. Comme partout ailleurs, les petits seigneurs tentent de
s’arroger de nouveaux droits ou d'étendre ceux qu’ils possèdent.
Incastellamento : la
motte en relief montagneux
En 1973,
la thèse de Pierre Toubert révolutionna pour longtemps la
recherche sur le château de l'an mil. C'était dans la parfaite continuité des
études régionales encouragées dès les années 1940 par Marc Bloch.
Ainsi le suivirent, André Déléage (Bourgogne, 1941), Georges
Duby (Mâconnais, 1953) et Gabriel Fournier (Basse-Auvergne, 1962). Le
château fut dès lors considéré dans une approche plus régionale que théorique.
On tenta aussi d'étudier le château en rapport avec l'habitat, à l'instar du
village médiéval rassemblé au pied de « son » château. Ce phénomène
est assez caractéristique de l'ensemble de l'arc méditerranéen et
secondairement l'Atlantique, où les exemples de castra villageois ne
manquent pas.
En quoi consiste l'incastellamento
italien ? Le mot francisé en « enchâtellement » désigne l'action
de fortifier un bâtiment ou un village. Au départ P. Toubert avait suggéré que
cette emprise territoriale était née entre la dernière mention des habitats de
type fundus, villa et la première mention de cet habitat comme castrum,
soit au cours du Xe siècle. Des
recherches postérieures ont montré que ce phénomène émergea bien plus tôt,
c'est-à-dire au IXe siècle voire dans
la seconde moitié du VIIIe siècle
où on note une corrélation entre la reprise démographique et la réorganisation
agraire. Le Latium
connaît une phase active de construction et de destruction des castra
autour de l'an mil : le château désormais en pierre, se dresse sur un site
élevé autour duquel se regroupent l'église et les maisons.
D'autres régions ont connu le même processus
d'incastellamento, avec des variantes locales : ainsi dans la région de Béziers, la
chronologie est différente. Bien que Monique Bourin ait remarqué une
multiplication des centres fortifiés dès la fin du Xe siècle,
« la dispersion de l'habitat reste encore de règle ». D'autre part,
elle a remarqué que le perchement villageois n'était pas commun, loin de
là. Au milieu des villages fortifiés, Dominique Baudreu a signalé la présence
de villages dénués de toute fortification. C'est ce qu'il appelle des points de
résistance à l'incastellamento : cette situation est l'indication notable
du maintien de possessions ecclésiastiques anciennes « étrangères à la
logique châtelaine ».
En Roussillon, le regroupement des hommes au pied de
la forteresse est à concilier avec une « occupation du sol et un paysage
déjà fortement marqués par le phénomène des celleres (celliers pour les
réserves de grain) ». Aymat Catafau a montré que ces derniers étaient des
entrepôts paysans situés dans l'espace consacré « généralement de trente
pas de largeur entourant l'église », dans lesquels on stockait les
récoltes à l'abri des vols. C'est le phénomène castral des années 950-1050 qui
précipita l'association des celleres avec le centre fortifié. Le meilleur
exemple est le village de Castelnou dont la toponymie castellum novum souligne
bien cette réorganisation territoriale de l'an mil. Il est mentionné pour la
première fois en 993
dans un plaid où
la comtesse Ermengarde dit résider dans ce château d'une dizaine de mètres de
haut. Ce dernier est posé sur un éperon rocheux à 320 m d'altitude, dominant le
village (lui-même fortifié), étendu en pente douce sur une cinquantaine de
mètres. Dans le contexte d'incastellamento, les vicomtes du Vallespir ont
à coup sûr regroupé une population attachée à son cellier ancien tout en
verrouillant le col qui mettait en relation la plaine et le plateau.
L'incastellamento est plus largement l'aboutissement d'un
phénomène démographique, agraire et sociétal en germe depuis le début de
l'époque carolingienne. C'est le schéma d'une politique et d'une réorganisation
territoriale qui a touché les rives méditerranéennes pour plusieurs
raisons :
- d'un point de vue topographique, le relief (Apennin, Alpes et Pyrénées) permet un abri naturel favorisant les sites perchés ; la montagne fournit de nombreuses carrières de pierres qui assurent des châteaux plus solides donc plus efficaces ;
- avant le milieu du XIe siècle, la Méditerranée reste la zone active du commerce européen. On sait que dès le VIIIe siècle, le commerce était déjà actif à Milan et Pavie ;
- la fin de l'occupation sarrasine du Freinet, à la suite de l'expédition des comtes de Provence lors de la bataille de Tourtour en 973, a dû être une période de renouveau dans la société méditerranéenne
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